Heroes - - Emmanuelle Huynh - Plateforme Mua

 

 

Heroes, 2005

Heroes, c’est tout d’abord un constat simple, une conviction : chacun de nous est peut-être un héros de sa vie.
Masqué parfois, intermittent sans doute.
 Walter Benjamin disait que le héros moderne, celui du XXe siècle, est l’homme ordinaire, celui de tous les jours et son héroïsme persévère dans des métamorphoses incessantes parfois difficiles à repérer.

J’ai eu envie de soulever cette part de chacun qui fait que nous sommes parfois héroïques, que nous nous tenons vraiment debout.
 Ces mots sont difficiles à prononcer pour notre génération qui s’est peu à peu dépolitisée, a enlevé ces mots de son vocabulaire. Par pudeur, par cynisme, par désabusement.
J’ai souvent prononcé le mot « engagement » lors des répétitions : engagement dans sa voix, dans sa vie, dans son corps, dans la communauté.
J’ai eu envie d’entendre ces textes, ces récits, ces harangues qui mettent les hommes en mouvement.
Pour déjouer aussi le sérieux, nous avons parfois replongé en enfance vers les figures héroïques qui nous ont nourris. Par plaisir et conviction, j’ai eu envie que le rock’n roll comme force et comme utopie nous porte.
Sur scène, une montagne (ou un mur ?) maritime nous accompagne en souvenir des grandes aventures et des combats… à venir.
J’ai eu envie d’entendre nos cris comme des dépenses joyeuses de nos êtres, des appels et aussi des refus de ce à quoi nous ne voulons plus nous soumettre, adhérer, supporter, cautionner. Heroes est un geste/cri qui dit OUI."
Emmanuelle Huynh

 

Entrer dans Heroes se fait sans commencer.
C'est immédiatement une matière, un paysage, des histoires qui entraînent sur des pistes indénombrables. Heroes touche au(x) cri(s).

Quand Emmanuelle Huynh m'évoque cette part fondatrice de la pièce, je me prête à entendre ceux que je connais déjà ; film, théâtre, poésie, discours politique, chant patriotique constituent un champ d'écritures où les bouches, les corps, les identités, la nature s'ouvrent pour crier. La recherche procède rapidement de l'entrecroisement, de l'emboîtement, de l'empilement de genres, de supports, de récits, d'époques, de langues...
Je passe par la révolution malienne, portugaise, française, chinoise, par les panthères noires, et par les révolutions sexuelles, littéraires, musicales… Je passe par Little Richard, Elvis Presley, Muhammad Ali, par Scarlot Harlot (prostituée poète américaine), Antonin Artaud, par Malcolm X, Amylcar Cabral, Sade… Passe par des pièces mythiques comme Médée, Phèdre, Thyeste, Antigone sans oublier la Bible… Je passe par les dialogues de Les dents de la mer, Rocco, Shining, Moi un noir… ce qui fait passer par des criards comme Gabin ou comme Jocelyne, figure documentaire de Reprise.

Si le cri ouvre la recherche textuelle, depuis une semaine j'assiste à la recherche vocale du cri.
Pour cette étape, Emmanuelle réunit dans les studios du CNDC actrice, danseurs, chanteuses. Avant même les cris, on entend les langues : portugais, néerlandais, turc, russe, français et anglais. Une diversité et un mélange qui jouera au cours de ce premier travail.
Frédérique Wolf-Michaux, chanteuse, amorce cette session en proposant une exploration "fouillée" de la voix qui va du bas ventre jusqu'au nez. Avec des moments comment dire délicats, bouleversants même quand tête renversée et pieds en l'air, les corps se secouent se parlent s'engueulent pour trouver une voix avant la parole qui vibre, circule sans blesser les cordes vocales. À la fin de cette première semaine, côtes flottantes et colonne d'air se détendent, les ventres se contrôlent et des voix saisissantes s'échappent et suivent une partition pour cris et batterie.
En parallèle, des textes prolongent cette expérience de l'engagement du corps et de la parole. Les mots apportent des sons qui résonnent comme des harangues. Une approche sonore qui libère l'adresse d'un chant comme The revolution will no be televised et excite la part de jeux et d'enjeux scéniques inhérents à cette écriture.

Dans ce chantier, la danse participe au mouvement. Les cris et les textes en perturbent les gestes et les contacts. Ce matin, les corps dérivent vifs, « sans objectif, entiers dans l'action », dixit un des danseurs. Il me renvoie à la sensation de travailler une matière pleine qui égare, essouffle et déplace en même temps vers des espaces étranges, difficiles à nommer mais des espaces dramatiques et chorégraphiques évidents. 
Aujourd'hui, encore immergé, je ne peux restituer qu'une impression descriptive de cette première traversée. Pourtant, il apparaît que les pistes explorées se resserrent et tendent vers une langue, une écriture qui pourrait être celle de Heroes.

Jean-Paul Quéinnec - dramaturge

photos DR Plateforme Múa

Distribution / Crédits


Durée : 65 minutes

Chorégraphie Emmanuelle Huynh
Danse Nuno Bizarro, François Chaignaud, Corinne Garcia, Ana Sofia Gonçalves, Emmanuelle Huynh, Johanna Korthals, Ayse Orhon, Petit Vodo
Assistant à la dramaturgie Jean-Paul Quéinnec
Lumières Yves Godin
Scénographie Nicolas Floc’h
Musique Petit Vodo
Costumes Cécile Feichenfeldt
Accompagnement voix Frédérique Wolf-Michaux

Production Compagnie Múa, coproduction Centre national de danse contemporaine Angers, Théâtre de la Ville Paris et Centre national de la danse Pantin.


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